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  • Photo du rédacteurThomas GROLLIER

Brève cartographique #35


 

En ce vendredi (non saint), allons donc nous promener du côté des Papes. Pas ceux que nous connaissons à Rome, mais ceux qui vont venir quelques temps du côté d'Avignon. Pourquoi? Parce que là nous allons donc ouvrir une petite brève qui mélangera lutte de pouvoir, impôts, papes, révolution et enclave. Oui vous avez bien lu une enclave! Joie du cartographe. Car il y a dans ce coin de Provence baigné par le Rhône et soufflé par son mistral, une petite bizarrerie géographique toujours présente sur les cartes actuelles : l'enclave de Valréas!

Phillppe IV dit Philippe le Bel

Bon l'histoire est un peu compliquée. Accrochez vous mais pour faire simple le roi Philippe Le Bel était suffisamment couillu pour rivaliser avec le Pape Boniface VIII. La France a besoin d'argent et la royauté met en place un impôt spécial, la Décime, qui ponctionne une partie des revenus du clergé. Diablerie pour le Pape qui voit cela avec une sainte horreur. C'est le début de l'engrenage belliciste dans les relations Franco-papales. Menaces d'excommunication, affirmation de la supériorité spirituelle du Pape sur les pouvoirs royaux, tentative d'arrestation du Pape par les troupes Françaises. Bref c'est un bordel monstre et je vous la fais courte car on pourrait ajouter le problème des Templiers et l'Inquisition. Merveilleuse et belle époque où l’on moissonne plus les hommes que les blés...

Finalement entre un roi de France inflexible et les providentielles morts des Papes Boniface VIII en 1303 puis Benoît XI (qui monta sur le Trône de Saint-Pierre moins de 9 mois), la voie est enfin libre pour l'apaisement. Les cardinaux choisissent alors un pape français Clément V qui avait su habilement rester neutre dans le conflit. Voulant les bonnes grâces de Philippe le Bel, il installa alors la papauté à Avignon. La situation de la ville est parfaite entre le royaume de France, le Comté de Provence qui fait parti du Saint-Empire, un des rares ponts sur le Rhône et des terres qui appartiennent déjà aux Papes depuis 1274. Allez va pour le déménagement sur Avignon et le Comtat Venaissin, ça va flatter les Français. Voilà le petit retour en arrière pour situer dans l'histoire l'origine d'Avignon cité des Papes et ses terres avoisinantes.

Avignon : la cité des Papes et le Pont Saint-Benezet

Mais ces terres sont encore un peu étroites pour la grandeur Papale. Si le Pape réside majoritairement à Malaucène ou Carpentras, le Saint-Collège s'installe lui à Avignon. Les Papes avignonnais vont donc chercher à agrandir leur territoire. Par divers rachats, échanges ou dons, le Comtat va s'étendre le long du Rhône, dans le Dauphiné et autour du petit bourg de Valréas. Si cette dernière est achetée en 1317, sa voisine Richerenches sera offerte aux Papes après la saisie de la commanderie des Templiers et, limitrophes, Visan (en 1344) puis Grillon (en 1383) rejoindront le Comtat. Ces quatre bourgs forment un tout mais a la particularité bien inconfortable d'être enclavé par rapport au reste des terres papales d'Avignon. Au sud de l'enclave, le long du cours d'eau nommé l'Eygues, une étroite bande de terre française (et Dauphinoise) résiste encore et toujours à l'envahisseur.

Le Comtat au XIVe siècle. Source : enclavedespapes-700ans.fr

Après le départ des "vrais" Papes vers Rome en 1377, les "vrais-faux" Papes français vont rester en Avignon jusqu'en 1418. Mais cela ne change en rien le titre de propriété. Valréas restera une enclave et l'ensemble du Comtat restera sous suzeraineté papale jusqu'en 1791 et la révolution française. Des accords avaient été élaborés pour tenter de rompre l'enclavement. Ainsi au XVIIe Valréas acheta une étroite bande de terre, le Petit Barberas, afin de pouvoir enfin rompre l'isolement et rejoindre les terres papales distantes de quelques kilomètres au sud-ouest de Visan et Bouchet. Mais, trop heureuse de pouvoir ennuyer les Papes, la France continue d'appliquer douane et contrôles divers le long de ce qui n'est pourtant plus une enclave.

Le corridor du Petit-Barberas au centre de la carte vers 1700

Arrive la révolution et, en cette période où royauté et clergé n'étaient plus "the place to be", les terres papales deviennent françaises en 1791. En 1793 est créé le département du Vaucluse par addition des diverses anciennes possessions des Papes plus Apt et Cavaillon. Valréas est donc intégré au Vaucluse tout comme le canton de Suze-la-Rousse. Sauf qu'en 1800 on "drômise” les limites départementales et Suze-la Rousse retourne dans la Drôme. Valréas redevient l'enclave vauclusienne qu'elle est encore aujourd'hui. Enclave départementale mais aussi enclave régionale car la Drôme est en région Auvergne-Rhône-Alpes et le Vaucluse en Provence-Alpes-Côte d'Azur. Au niveau de la partie la plus courte de la Drôme, le long de l'Eygues, 850 mètres séparent le Vaucluse de son enclave de Valréas. Bon, y a plus de problème de douane dans le secteur, mais ça reste bien et bien une enclave. Et ça c'est chouette, comme toute les enclaves.


Source : GoogleMaps

Et petit aparté de fin. Vous entendez souvent dire : «je vais en Avignon» comme on dit je vais «en Italie» ou «en Allemagne». En effet pour une ville on devrait dire «je vais à Avignon», tout comme à Abbeville ou à Albi Mais peut-être parce que cela a été un État indépendant pendant 7 siècles on utilise encore le «en Avignon». Et ça aussi c'est chouette.

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