Dans ces petites brèves du vendredi qui, je l'espère, enchantent votre futur début de week-end depuis douze mois, voilà un petit moment que nous n’avions plus parlé d’hydrologie et de bassins versants. Pour les amateurs de sens d’écoulement de l’eau je vous invite à redécouvrir ma brève #10 décrivant l'incroyable site de Meilly-sur-Rouvres où l’eau coule vers trois bassins hydrographiques différents (voir ici). En ce premier vendredi de décembre revenons donc sur un nouveau sujet portant sur le sens d'écoulement de l'eau.
C'est limpide mais avec la gravité, invariablement, l'eau coule toujours du point le plus haut vers le point le plus bas et cela quelque soit la distance horizontale. Soyons chauvins avec quelques exemples français. Le Rhône débute à 2.200 mètres d'altitude dans les Alpes suisses au glacier du même nom et, après plus de 800 km, termine son périple dans la Méditerranée. Du Mont Gerbier du Jonc (1.550 m), la Loire prend source et traverse l'Hexagone vers l'océan Atlantique. Voilà, suivant l'expression consacrée, ça coule de source. On pense tous que c'est immuable. Et pourtant...
Car oui, cher ami lecteur, il existe quelques rares sites dans le monde où l'eau, du jour au lendemain, change de sens d'écoulement. Non tu n'as pas trop bu et tu comprends immédiatement que le point haut, à un moment, n'est plus celui initial. Pour cela nul besoin de renverser les montagnes, l'explication tient toujours d'un double facteur. Primo, il faut une très faible altimétrie entre la source et l'embouchure. Secundo une crue. A un moment la hauteur de l'eau sera ainsi supérieure du côté de la crue que du côté de la source. Un des sites les plus connu dans le monde est au Cambodge. Le lac et la rivière Tonlé Sap sont un vaste marécage entre février et mai. Depuis l'émissaire du lac l'eau coule vers le Mékong puis la mer. Au plus fort de la saison sèche le lac mesure environ 3000 km2 pour quelques petits mètres de profondeur.
Mais avec la saison des pluies, le Mekong devient alors furieux. De septembre à novembre, au niveau de la confluence entre la rivière Tonlé Sap et le Mékong, l’altimétrie de l'eau est alors supérieure à celle du lac pourtant distant de 120 km. L'eau change alors de sens et le lac se remplit rapidement pour atteindre une surface de 10 000 km2 et une profondeur d'une dizaine de mètres. A la fin de la crue, le cycle s'inverse et le lac se vide de nouveau en direction de la mer. Ainsi, chaque année en novembre, c'est la Fête des Eaux (Bon Om Touk) où la population Khmer célèbre le changement du sens du cours d'eau du Tonlé Sap.
Bon, vous me direz, vu les très faibles altimétries de la zone cambodgienne c'est plutôt facile comme phénomène. Petits impertinents! En France, parce qu'on est très forts, qu'on a une grande gueule et que Poséidon, lassé, ne voulait pas plus emmerdes avec nous, il a crée le même évènement d'inversion d'un cours d'eau. Certes à une échelle nettement différente mais c'est en plein cœur des Alpes, ses montagnes de granit et ses sommets enneigés à plus de 4.800 mètres. Ça calme hein? L’origine du phénomène est identique à celui du prestigieux Tonlé Sap. Une faible différence d'altimétrie et une crue. Ainsi, au cœur de la Savoie, créé par l'érosion glaciaire du Würm, le Lac du Bourget s'est lentement formé par remplissage de la cuvette abandonnée par les glaces il y a 20 000 ans. Depuis, en fonction des pluies et de l'évaporation, l'altimétrie moyenne du lac est de 231,5 mètres au dessus de la mer. Sa profondeur de -145 mètres est remarquable et en fait le 2e lac le plus profond en France après le Lac Léman (-310 m). Entouré de sommets 1.000 mètres plus hauts que lui, le lac est un écrin magnifique. A ce titre ne manquez de découvrir, sur la rive occidentale, la superbe Abbaye d'Hautecombe. Il y a aussi le petit bourg de Mouxy (2.000 âmes) que je cite pour faire plaisir à un bon copain mais il n'y a vraiment pas grand chose à découvrir. Mais au moins c'est fait et vous connaissez désormais Mouxy! Votre vendredi est ensoleillé.
Bon, après cet intermède ludique, retournons sur notre lac. Pour rester à niveau le Bourget est principalement alimenté par le cours d'eau de la Leysse qui pénètre l’étendue d’eau par le sud après avoir traversé Chambéry. Au nord du lac, par un petit émissaire, l'eau s'écoule à travers le marais de Chautagne en direction du Rhône sur 4,5 km. Le cours d'eau qui dirige l'eau du lac vers le fleuve a été canalisé au XIXe pour devenir le Canal de Savières. C’est un lieu de promenade fluviale apprécié. Depuis 1985 un barrage sur le Canal de Savières permet désormais de réguler la hauteur minimale du lac à 213,77 mètres en été et 231,47 mètres en hiver. Mais à sa confluence avec le Rhône le canal est à 230 mètres d'altitude soit seulement 1,5 mètre sous le niveau du lac. L’eau s’écoule bien du lac vers le Rhône. Cependant, à l'occasion de violentes crues, les eaux du fleuve peuvent être alors plus hautes que celles du lac. Le Canal de Savières voit alors son sens d'écoulement inversé et c'est alors le Rhône en crue qui alimente le Lac du Bourget. En de rares cas, la crue est violente, surtout si elle se combine à celle de la Leysse.
Les villes riveraines du lac comme Aix-les-Bains se retrouvent alors partiellement sous l'eau comme ce fut le cas en 1990 ou plus récemment en 2018. Mais c’est la crue de 1944 qui est restée dans toutes les mémoires. Atteignant la cote de 235,27 mètres c’est le plus haut niveau connu du lac au XXe siècle, soit presque 3,5 mètres au dessus du niveau le plus bas. Il faut, à chaque fois, attendre la fin de la crue rhodanienne, plusieurs jours plus tard, pour revoir le Canal de Savières changer de sens d'écoulement. Je cherche encore s’il y a, comme au Cambodge, une fête des eaux pour prendre acte de ce moment singulier. Le savoyard est peut-être, finalement, moins fêtard que le khmer…
コメント