
Je vous avais promis un petit voyage au sein des exaltantes enclaves qui parcourent ça et là les frontières mondiales et donnent de petits morceaux d’une nation au cœur même d’une autre. Ce vendredi allons faire un petit tour sur les rives d’un lac alpin, à l’interface de deux nations, avec une philatélie recherchée, un casino en banqueroute et le tout avec la bénédiction d’un archevêque. Vous pensez ce combo impossible et pourtant soyez les bienvenus à Campione d’Italia ! On est sur les rives du Lac de Lugano, un lac d’origine glacière situé en Suisse dans la région du Tessin. Cette région a d’ailleurs la particularité de parler majoritairement l’Italien. Durant la période moyenâgeuse elle était rattaché au Duché de Milan mais depuis le XVIe siècle c’est la Suisse qui en a le contrôle. En 1803 la région devient officiellement un canton de la Confédération Helvétique (le fameux et intrigant sigle CH qui ne veut donc pas dire Chuisse).
Mais petit retour en arrière. En 777 Campione n’a plus de seigneur avec descendance. Le village et ses terres de part et d’autre du lac sont alors cédés à l’Archevêque de Milan qui lui-même en confie la garde à une abbaye milanaise. Jusque là rien de bien étrange et notre petit village coule des jours heureux au bord de son grand lac. Mais – j’adore les « mais » –, la première moitié du XVIe siècle voit une longue guerre européenne troubler le havre de paix de Campione : les Guerres d’Italie.

Les Français jouent leurs gammes sur Milan et Naples, le Pape défend ses terres et le Saint-Empire de Charles Quint n’apprécie guère François 1er. Les Suisses jouent la carte du Pape et bien leur en prend car ce dernier leur donne le Tessin en remerciement de leur aide. On est en 1521. Sauf que – j’adore aussi les « sauf que » –, nos religieux de Campione ne souhaitent guère passer sous la férule suisse et font valoir leurs droits à rester à l'initial. Leur terre reste donc milanaise avec un bon morceau du lac d’ailleurs, le tout enclavé au cœur de la Suisse.

La situation va perdurer des siècles et personne ne remettra en cause ce fait. On va quand même songer à améliorer la situation en rendant aux suisses un petit morceau italien de l’autre rive qui occasionnait une discontinuité territoriale sur le lac, les helvètes ne pouvant aller du nord au sud sans passage dans les eaux italiennes. Campione, 1 km carré pour sa partie terrestre, reste italienne et cela malgré la quinzaine de kilomètres d’une route traversant la Suisse. Pour simplifier la vie des habitants, la monnaie est suisse, l'enseignement est en suisse et les timbres sont italiens mais avec une valeur en Franc Suisse ce qui fait le bonheur des philatélistes car hautement original.

Dans les années 30 le régime fasciste changera le nom de la petite ville pour ajouter bravement le « d’Italia ». On s'amuse comme on peut…
En parlant de jouer, c’est justement ce qui va faire la fortune de la petite ville. En 1917 avait été créé un casino sur la rive du lac. Merveilleux lieu de villégiature pour les riches italiens et suisses qui découvrent Campione et en font promotion. En 2007 le vieux casino municipal laisse la place à un bâtiment pharaonique de 40 000 mètres carrés qui en fait le plus grand casino d’Europe. 11 ans plus tard le casino fait faillite laissant la commune dans une pénurie financière et sociale dramatique. La petite bourgade qui avait su faire sa route à travers les affres d’une Europe en guerre, jouer habilement sur les liens italo-suisses du son enclavement, est aujourd’hui vide économiquement et moralement. L’an dernier elle a également perdu son statut particulier, sorte de zone franche en territoire helvète. Ce sont désormais bien les lois fiscales italiennes et de l’UE qui y sont appliquées ajoutant une énième estocade aux 2000 habitants du bourg endormi. Comme sur la roulette de leur ancien casino : « rien de va plus ».

Tout simplement bravo ! Et merci pour ce bout d'histoire.
Gil ARTHAUD